CHARNÈGOUS?

"CHARNÈGOU", UN MOT MYSTÉRIEUX QUI DESIGNE L'HYBRIDATION ENTRE BASQUES ET BÉARNAIS. OU, COMMENT DES VILLAGES, AUTREFOIS BASQUES SONT DEVENUS LOCUTEURS DE BÉARNAIS.


A l'égard des étrangers susceptibles de venir troubler leurs us et coutumes, toutes les langues possèdent des termes qui vont de la circonspenction, au dédain: les "Frisés", les "Macaronis", les "Youpins" ou les "Amerloques", émaillaient hier encore en France le langage commun. C'était le temps ou le mot de "race" n'était point malvenu...

En Aquitaine le terme de "Gabach" était nettement méprisant. Il désignait des étrangers suspects. Pour les Béarnais et les Gascons, étaient "gabachs" les Français et les Espagnols. Pour les Espagnols, les "gabachos" c'étaient nous. La "Gabachérie" c'était toujours le triste pays de l'autre.

Pire parfois en était-il des populations mélangées et supposées bâtardes. Les Grecs les appelaient soit "Miganes" (peuples mitigés) soit "Métaïkos", d'où nous avons tiré le nom de "Métèques": c'étaient ceux qui étaient "entre les maisons", mais qui n'étaient pas de la maison.

En Aquitaine, il est encore un mot mystérieux dont il reste à découvrir l'étymologie: celui de "Charnègou". A Barèges, il a le sens radical de bâtard, fils de bâtard, et petit-fils de bâtard. Mais en Béarn, il n'est pas péjoratif. Et comment purrait-il l'être puisqu'il désigne l'hybridation entre Basques et Béarnais?

Or ce phénomène s'est traduit aux limites basco-béarnaises, par le fait qu'un certain nombre de villages, autrefois basques, sont devenus locuteurs de béarnais. On peut discuter le cas d'Escos, village typiquement béarnais, mais rattaché historiquement à la Navarre. Mais Abitain, Bideren, Osserain, Gestas, Charre, Dognen, Aren, sont bien, des toponymes Euskariens. Et les types physiques y sont accentués dans ce sens: je n'ai pas connu de plus fin Béarnais, que Michel Daguerre, maire de Charre, et pourtant son visage était tout à fait représentatif de "l'Etchéco-yauna"!

Quant à celui qui demeure un des plus populaires Félibres Béarnais, Jean Gastellu-Sabalot, non seulement son vrai nom était Gastellu-Etchégorry, mais il m'affirmait qu'à Gestas, d'où il était originaire, on parlait encore Basque avant la révolution.

Comment un te glissemente a-t-il pu s'opérer? Simplement par l'exceptionnel don qu'ont les Basques pour apprendre le béarnais, alors que le contraire n'est jamais vrai! Dès lors que s'est-il passé? C'est que les jeunes Basques, lors des fêtes votives en territoire Béarnais, étaient capables de courtiser nos jeunes filles, de les séduire et de les épouser. Mais ces épouses béarnaises, parlant béarnais avec leurs maris basques, quelle langue apprendraient-elles à leurs enfants? Evidemment le béarnais! Et c'est ainsi que les Basques ont été vaincus par leur conquête!

Le Père Bordachar, lors de sa réception à l'Académie de Béarn, avait magnifiquement évoqué ce qu'il devait à sa grandmère béarnaise, que chez lui on avait toujours nommée du terme béarnais si plein d'affection "La Mayotte" (Petite Mère). Et comment pourrais-je ne pas évoquer ces artisans de notre renaissance béarnaise, Marcel Teletchéa, dit "Marcelin de Lurbe", un de nos conteurs désopilants, et Jean Abbadie le maître compositeur du Faget d'Oloron, dont les ascendances mêlées, ont mis la force du caractère basque au service de l'art béarnais?

Il est des mélanges aujourd'hui, que, faute de recul, on pourrait redouter. Mais pour celui dont nous traitons la preuve est faite. Et si cela était du domaine de la raison, on devrait en recommander l'usage.

Alexis Arette (Magazine Pyrène nº174 - Juin 2004)